Share
En choisissant de photographier les hommes de pouvoir au Liban, Lamia Maria Abillama s’aventure sur un terrain glissant. Ces têtes – toujours les mêmes – qui défilent en boucle sur nos écrans télé depuis des années ont-elles encore des secrets pour nous ? Les citoyens anonymes que nous sommes ont-ils envie de retrouver les visages – aimés ou abhorrés – sur les murs d’une galerie ? Lamia Maria Abillama ne s’est sans doute pas posée ce genre de questions lorsqu’elle s’est lancée dans cette aventure, mue sans doute par une certitude qui ne peut être que l’apanage des artistes. Il fallait vraiment qu’elle croie à ce projet pour réussir déjà à forcer la porte de toutes ces personnalités et les convaincre de poser devant son objectif. C’est là un aspect non négligeable de ce travail, tant cette galerie de portraits est d’abord une succession de noms. Le nom précède l’image. En premier lieu, celui de la photographe elle-même, avancé comme une carte de visite au début de chaque entretien téléphonique pour prendre rendez-vous.
Quand elle n’use pas de son nom, Lamia fait jouer celui des personnes déjà photographiées ; la plupart des rendez-vous découlant les uns des autres. Ainsi, la notoriété de celui qui a accepté de poser en premier influence le « oui » du deuxième… et ainsi de suite, suivant un bel effet domino. La photographe peut sans doute témoigner des réseaux d’amitiés, d’accointances, de complicités, qui ont permis de tisser la toile qui finit par relier les protagonistes de cet ouvrage.
Mais si le name dropping remplit ses desseins « d’introduction » – au sens propre du terme – dans les demeures des sujets à photographier, il ne permet pas d’aller au-delà du seuil réglementaire du salon, de la salle de réunion, du bureau ou des autres lieux de réception. Or, Lamia n’entend pas faire un portrait convenu, encore moins la photo officielle des hommes et femmes politiques du Liban. Elle veut les montrer dans la réalité de leur nature pour parapher Rousseau, ce qui ne saurait advenir en dehors du cadre intime.
Et là, ce n’est plus de son nom, mais de tout son pouvoir de persuasion que l’artiste doit user pour convaincre ceux qui pensaient se plier à une formalité d’usage, de lui ouvrir leurs portes les plus secrètes. La plupart du temps, les principaux intéressés – décontenancés ou amusés par tant d’aplomb et désireux surtout de mettre un terme à la corvée – finissent par obtempérer, passant outre les protestations de ceux qui se veulent plus royalistes que le roi : assistants, secrétaires, aides de camp, conseillers, gardes du corps… Ces proches parmi les proches sont plutôt invités à se rendre utiles en aidant la photographe à planter le décor de l’exécution… du portrait.
Enfermés dans l’appareil photographique, les sujets n’en ressortiront que pour se rencontrer sur les murs de la galerie.