From September 20, 2012 to October 20, 2012
Galerie Tanit, Mar Mikhael, Beirut, Lebanon
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La photographie est entrée dans mon imaginaire d’adolescent avec les prises de vue par Lucien Hervé d’abbayes provençales. Ses images de « pierres sauvages », inanimées mais habitées par l’esprit, structuraient le temps au rythme de la liturgie des heures cistercienne. Ce travail si harmonieux conduisit le Corbusier à faire de Hervé son photographe privilégié.
Comme Lucien Hervé, Serge Najjar écrit avec les lignes et joue avec les ombres. En découvrant ses photographies, j’ai d’emblée été touché par la pureté de son regard et la rigueur de ses compositions architecturales. Mais dans les images animées de Serge, c’est la fraction de seconde qui dit l’intemporalité, et l’image ne peut plus ensuite se concevoir sans son acteur. Mises en abîme, ses silhouettes sont autant d’ombres fugitives et solitaires, parfois d émultipliées dans des reflets, qui cherchent leur place tout en redéfinissant l’échelle.
Serge ne puise pas dans la mémoire des villes méditerranéennes – presque aucune image de « vieilles pierres » – mais il aiguise son regard sur la modernité des villes, dont la sienne, en pleine mutation au mépris du passé. Je sais désormais avec quelle énergie ce passionné sort à l’aube dans sa Beyrouth chaotique, meurtrie, et qui porte encore les stigmates de la guerre.
Outre sa capacité caractéristique de traduire la relation de l’homme avec son cadre urbain, Serge m’a révélé le paradoxe de son regard. Il fait les images en 24×36 mais les pense en 6X6 — le format carré le plus exigeant. J’en eus la confirmation à Paris lorsque je côtoyais Serge aux prises avec un moyen format 6×6 que je lui avais prêté.
La maîtrise du cadrage se doit d’être absolue. La « bonne » image est celle qui traduit la vision intérieure, et qui trouve dans le regard du spectateur inconnu toute sa résonance. Cette rigueur est la fondation de l’onirisme. Certaines images évoquent pour moi les projets d’architectes du siècle des Lumières, tels Etienne-Louis Boullée ou Claude-Nicolas Ledoux, qui ont rêvé leurs architectures en photographes. Mais eux qui n’ont jamais réalisé leurs utopies, en photographes ils eussent dû composer avec la réalité. Serge Najjar dessine pour nous un parcours initiatique. Son champ s’élargit. Les hommes, ombres incarnées, nous appellent à traverser le miroir des apparences, à les suivre sur les grèves ou sous les voûtes ajourées de nos mondes aux allures virtuelles et pourtant si concrets.
Un photographe est né, écrivain de la lumière, sensible aux variations du Temps.
Ferrante FERRANTI