Pour Aram

“She’s very kind, she’s beautiful, she’s… good.” – Jean Genet, The Maids.

Aram est une jungle, un chêne de roche, on le découvre et on le visite, on se l’approprie, on s’y fond, on s’y dissout, on se perd et on s’oublie. Devant lui, on s’abstrait de soi et l’on plonge dans ses remous. Le remous est fond, et le fond n’est pas, il est plat. On pousse la fronde hors de notre vue, cherchant le fond, et notre vue nous est volée par la fronde ; la fronde gagne notre vue et l’étouffe, la broie avec éclat, la couleur nous égorge et nous crève l’œil. D’en bas, on regarde la surface qui nous nargue, on s’étale contre le fond et l’on tend vers là-bas. Mais la fronde se referme déjà et nous berce, on s’éprend d’elle et on lui fait confiance, on sombre dans une léthargie et la fronde s’immobilise, confiante et fière. Elle a gagné, elle nous a tout pris et nous a craché sur le rivage, elle nous lèche encore de sa langue rugueuse et rouge et l’on se souvient de son doux bercement, de sa nostalgie bienveillante. Devant nous s’étale une mer iridescente qui suit les rimes de la toile, elle bat d’un rythme irrégulier mais elle semble nous appeler tout en nous rejetant. On se rassied devant elle, cramoisi de son éclat, et l’on s’éprend à nouveau de son histoire.

Aram est méchant, Aram est vil, Aram ne laisse pas les autres jouer avec lui, Aram se débrouille très bien tout seul. Aram ne fait de mal à personne. Aram casse ses jouets, Aram les fracasse sur le sol et les laisse saigner à tour de rôle. Chacun son tour, chacun aura son heure, sa minute d’éclat. Si Aram décide, le rouge ira sur l’échafaud à côté du bleu céleste, il le laissera pendre et servira d’exemple aux autres. Chacun son tour, inutile de s’agiter. Aram accumule les cadavres, les surplombe de chaux et de bitume, il les enterre et les somme à la damnation. Les couleurs s’étalent là, inertes, silencieuses, souvenir d’une bataille tonitruante ; on tombe sur ce charnier et le limon qui en pousse chante sa mémoire. La mémoire d’une action fabuleuse qui n’est plus.”

– Theo Daladalian